24 Mar 2022 / Interview

« Nous voulons connecter les pays francophones entre eux » 

Weathering the Storm 

Bamba Lô, CEO, Paps 

 

C’est au cours d’un échange universitaire que Bamba Lô, CEO et fondateur de Paps, a découvert l’environnement business du Sénégal et décidé qu’un jour il viendrait s’installer à Dakar. Pour cet entrepreneur sénégalais insatiable, l’Afrique est un terrain de jeu. Diplômé d’une école de commerce (IDRAC Paris), il a d’abord travaillé dans l’édition de logiciels de vidéo conférences, puis dans un cabinet de conseil en banques et assurances. Deuxième startup à son palmarès, après une expérience dans l’externalisation de services, Paps est la première entreprise de livraison à la demande en Afrique francophone. Au travers d’une application, elle met en relation clients privés et particuliers avec des livreurs. Et en à peine six années d’existence (créée en 2016), elle a déjà réalisé plus de 10 millions de livraisons. Sa communauté de “Papseurs” (livreurs) fait quotidiennement le lien entre ses clients de Dakar jusqu’aux villages. Devenue une des startups de référence en Afrique francophone avec 4,5 millions $ levés en janvier 2022, nous n’avons pas résisté à l’envie d’interviewer Bamba Lô dans le cadre de notre série Weathering the Storm. Extraits. 

 

Comment vous est venu l’idée de Paps ? 

Cette startup n’est pas venue d’une idée mais d’une expérience. J’ai eu l’occasion de travailler avec un centre d’appel au Sénégal qui souhaitait vendre des abonnements. Ils avaient constaté qu’un nombre important d’intentions d’achat ne se traduisaient pas par des ventes effectives. Et la raison tenait essentiellement à des contraintes physiques, notamment le déplacement en agence. Ils ont alors décidé d’externaliser ce service vers l’entreprise pour laquelle je travaillais. Et nous nous sommes rendu compte qu’il y avait beaucoup de potentiel dans ce secteur, et quasiment pas de concurrence. Ou du moins, une absence de formalisation de la concurrence. En créant Paps, nous avons proposé un service de livraison formel aux sociétés qui en avaient besoin. Nous avons imaginé des solutions technologiques qui nous permettaient d’offrir à nos clients de la visibilité sur les expéditions au travers d’une flotte en illimité. Et aujourd’hui, grâce à notre académie, nous permettons aux personnes qui travaillent dans le secteur informel d’intégrer une flotte dans un cadre formel.  

Pouvez-vous nous décrire votre business model et a-t-il évolué au cours du temps ? 

Le business model a évolué principalement à cause du fait que nous avons gagné des clients. Aujourd’hui, il se résume à deux grands écosystèmes : des coursiers, convoyeurs et logisticiens que nous mettons en face de clients qui ont des besoins. A travers cette mise en relation, nous prélevons un pourcentage sur les transactions effectuées. 

La crise du covid a bouleversé les chaînes de valeurs et la logistique. Quelle a été son impact sur vos activités ? 

L’impact a été plutôt positif puisque les entreprises locales se sont réorganisées afin de limiter leurs importations et de détenir davantage de stock. Ce mouvement a ouvert des opportunités de stockage, de préparation et de distribution. L’impact n’a pas été aussi conséquent que dans le food delivery, mais la crise est venue fortifier nos relations avec les clients et a permis de monter en gamme sur certains services.  

Pensez-vous que la pandémie changera durablement la logistique en Afrique ?   

La logistique sert des secteurs d’activité qui ont eux-mêmes été profondément bouleversés par la crise sanitaire. Dans le retail, les acteurs en ont profité pour mettre en place des commerces de proximité, comme c’est le cas de notre partenaire Auchan. Ils comprennent que le magasin physique a peut-être atteint ses limites, que le digital constitue une nouvelle alternative, et que d’autres solutions innovantes peuvent apparaître. Par exemple, une entreprise pour laquelle nous travaillons a décidé de ne pas installer de magasins dans certaines villes mais d’y offrir uniquement des magasins digitaux. Ils vont dans nos points relais et y installent des bornes qui permettent d’être livré sous 24h-48h. C’est d’ailleurs ce sur quoi nous travaillons aujourd’hui : une approche phygitale plutôt que seulement digitale ou seulement physique. 

Il y a un mois, vous avez levé 4,5 millions de dollars auprès de grands groupes d’investisseurs tels que Saviu, Yamaha Motor Co. ou encore Google black. Vous apportent-ils uniquement du financement ?  

Certains nous apportent juste du financement, et d’autres, nous l’espérons, plus que cela. Nous nous appuyons sur le réseau et l’expérience de certains investisseurs stratégiques pour nous développer et pour créer de nouvelles offres, comme c’est le cas avec Yamaha, Orange ou encore 4DX Ventures. Cet échange vaut aussi bien pour les investisseurs que pour les clients et partenaires. Mais malgré tout cela, nous avons tenu à conserver notre modèle frugal, audacieux et ambitieux, que nous avions imaginé au départ. 

Comment allez-vous utiliser ces ressources supplémentaires ? 

En recrutant les personnes qui vont nous permettre d’aller loin. L’entrepreneuriat est une aventure humaine avant tout. La technologie facilite les échanges mais nous ne sommes pas de ceux qui pensent que des robots s’occuperont du service-clients demain. Ce seront des gens qui comprennent les réalités du client. Ces ressources nous permettent également de mieux satisfaire notre communauté de clients et de Papseurs au travers de nouvelles offres. Nous développons une marque plus que des produits, ce qui nous incite d’ailleurs à adopter des politiques responsables notamment dans le domaine l’environnemental. Notre ambition, c’est l’expansion. Être un hub régional francophone qui connecte nos pays entre eux. La francophonie, c’est près de 300 millions de personnes ! Comment faire en sorte qu’ils puissent se connecter ? A quoi ressemblera le commerce demain ? Ce qui est sûr c’est que l’e-commerce fera partie de l’équation et, pour cela, il nous faut des enablers (catalyseurs, facilitateurs, ndlr).  

Vous avez remporté de nombreux prix depuis votre création : Orange Innovation challenge, Hub Africa… Quelle place occupe cette reconnaissance dans votre développement ? Cela a-t-il été décisif dans cette levée de fonds évoquée précédemment ? 

Ca a été indirectement décisif. D’abord, c’est toujours valorisant pour une marque. Ensuite, ça renforce notre ambition. Lorsque nous avons remporté Hub Africa, nous avions plus des rêves que des ambitions concrètes.  Récemment, nous avons été certifiés “Best place to work” au Sénégal en 2021. Pour nous, ça a une valeur qui dépasse largement n’importe quel prix ou récompense. Nous avons fondé cette société pour créer un cadre dans lequel nos Papseurs soient épanouis. Pour lever des millions, gagner des prix ne sert pas beaucoup. Le plus important, ce sont les chiffres et le plan.  

Les startups africaines ont battu tous les records l’an dernier avec plus de 5 milliards de dollars de levées de fonds. Comment expliquez-vous ce phénomène ?  

Les premières grosses licornes nigérianes comme Interswitch ou Jumia sont là depuis un certain nombre d’années maintenant. Elles ont entraîné dans leur sillage des entrepreneurs qui ont appris auprès d’elles qu’ils pouvaient avoir de l’ambition et qu’il existait une multitude d’opportunités de marché. La force d’un pays comme le Nigeria, outre la taille de son marché, c’est qu’il est très proche des Etats-Unis, qui est lui-même le premier écosystème de startups au monde.  

Pour proposer des outils technologiques efficaces et de qualité, vous travaillez avec beaucoup d’ingénieurs. Comment faites-vous pour recruter des talents ?  

Nous faisons comme Airbnb et Google: nous recrutons des gens capables d’embrasser la mission,  d’être des Papseurs avant tout, quel que soit leur domaine de compétence. Ensuite, sur la partie développement, nous avons des tests assez difficiles et rigoureux. Il existe de plus en plus de développeurs mais peu qui ont eu véritablement l’occasion de travailler sur des projets. Donc les tests sont clés et c’est sur cette base que nous recrutons.  

Les villes africaines sont en première ligne du développement du e-commerce en Afrique et les mégalopoles ne cessent de s’agrandir, tout comme la classe moyenne africaine. Comment appréhendez-vous vos activités dans ce contexte ?  

Notre vocation n’est pas d’être un acteur urbain comme Uber Eats ou Glovo. Nous sommes des enablers pour ce type d’entreprises car nous leur permettons d’être présent en zone urbaine mais également de toucher les clients en zone rurales. Nous allons tous les jours dans les villages les plus reculés du Sénégal… nous réapprovisionnons des pharmacies, nous distribuons des factures dans tout le pays… ce sont des choses essentielles. Nous voulons aussi travailler à l’exportation en permettant aux producteurs locaux de vendre à l’étranger. Comment faire par exemple pour que leurs produits se retrouvent sur Cdiscount et Amazon ? Ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons. L’Afrique influence le monde et va continuer à l’influencer. Nous voulons être au centre et permettre à tous nos producteurs, transformateurs et exportateurs de servir un maximum de clients, où qu’ils se trouvent.  

Pour vous diversifier, l’application a lancé un service de livraisons aux entreprises. Quelle place occupe l’innovation chez Paps et quels sont vos objectifs en termes de nouveaux services à offrir à vos clients à l’avenir ? 

L’innovation est centrale et les nouveaux produits dépendent du client. Nous essayons d’innover de deux manières : dans nos structures d’une part, pour servir nos clients et leurs besoins de l’autre. Par exemple, nous développons un réseau d’entrepôts. L’achat de terrains pour construire des entrepôts n’est pas une idée très innovante pour notre structure. En revanche, nous sommes innovants pour les clients puisque nous pouvons leur offrir un service de stockage. La question est comment on fait pour pouvoir servir un client en service d’entreposage et en même temps créer de l’innovation dans nos structures pour que notre business model soit scalable, facilement duplicable et rentable ? C’est la grande question. Nous avons commencé par le plus dur, le terrain, les villages… et nous remontons vers le plus simple, l’international, qui représente aujourd’hui 70 % de la logistique en Afrique et qui est dominé par des acteurs européens. Nous voulons proposer des alternatives à nos clients. 

Alors que vous avez créé le projet à Dakar, vous affichez clairement des ambitions continentales. Quels sont vos zones prioritaires ? 

L’Afrique francophone est notre terrain de jeu. Benin, Togo, Burkina… 

Que pensez-vous de l’environnement entrepreneurial au Sénégal et que souhaiteriez-vous améliorer, notamment sur tout ce qui concerne l’économie numérique ? 

Gouvernement ou pas gouvernement nous faisons ! Être une startup, c’est être boarderline. Nous avons opéré pendant quatre ans avant d’avoir notre licence d’opérateur… C’est comme ça ! Les pouvoirs publics sont forcément en retard puisque nous innovons. Oui les autorités sont à la traîne sur certains sujets réglementaires liés au contrat et aux activités que nous menons… Notre manière de changer les choses, c’est d’apporter de la valeur à nos clients et de la valeur aux gens qui travaillent chez nous. 

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