07 Jan 2022 / Article

Mbokodo Building : construire des routes, casser les codes

Fondée en 2008 par Thandeka Nombanjinji-Nzama à partir du family business sud-africain Nombanjinji Family Property, l’entreprise de construction Mbokodo se veut exclusivement diriger par des femmes noires dans un secteur historiquement dominé par des hommes blancs.

Shane Starling 

  

Thandeka Nombanjinji-Nzama a la construction dans le sang. Son père, Ligwa Nombanjinji, a fondé Nombanjinji Family Property en 1981. Après la disparition prématurée de son fils et alors qu’il tombe malade, son Ligwa confie à Thandeka Nombanjinji-Nzama les rênes de l’entreprise familiale malgré son jeune âge. Diplômée en relations publiques et en marketing, la jeune femme apprend sur le tas la gestion d’une grande entreprise. Elle constate rapidement l’hégémonie masculine qui caractérise le secteur de la construction en Afrique du Sud et n’entend pas s’en laisser compter. 

Une enquête menée en 2018 par le Conseil de développement de l’industrie de la construction (CIDB) du pays révèle que seuls 11 % des professionnels du secteur sont des femmes. De plus, seules un quart des plus grandes entreprises de construction sont détenues à 51 % ou plus par des femmes et 34 % seulement appartiennent à des personnes de couleur noire. « Lorsque je me suis lancée dans le milieu, j’ai découvert les immenses défis du patriarcat et les lourdeurs administratives imposées aux femmes », se souvient Thandeka Nombanjinji-Nzama. 

 

Des inégalités systémiques
Ambitieuse et dynamique, cette femme de 39 ans, originaire de Soweto, fonde Nombanjinji Construction & Projects en 2008 pour se lancer dans de grands projets de construction commerciale et de travaux publics. L’entreprise est rapidement réorganisée et rebaptisée Mbokodo Building. Avec une nouvelle devise, Wathint’ Abafazi, Wathint’ Imbokodo (« Tu frappes les femmes, tu frappes un rocher »), et un objectif clair : émanciper les femmes noires devenir un groupe exclusivement dirigé et détenu par des femmes noires.  

« Après avoir pris conscience des défis du secteur, j’ai décidé de faire de Mbokodo Building une source d’opportunités pour les femmes et d’agir en faveur d’un secteur de la construction équitable et inclusif. Le système privilégiait systématiquement nos homologues masculins, même à capacités égales ou inférieures. Avec cette entreprise, nous défendons toutes les femmes du secteur. »  

Thandeka Nombanjinji-Nzama se souvient d’un projet où quatre entreprises contractantes devaient se répartir les responsabilités : « Les hommes ont choisi les tâches les plus importantes et difficiles, puis ont dit que mon équipe pouvait s’occuper du nettoyage des fenêtres une fois que tout serait terminé. Ce genre de situations existent encore… il faut être coriace pour survivre dans cette industrie. » 

Aujourd’hui, Mbokodo Building emploie 30 personnes, dont quelques hommes, fait appel à près de 150 sous-traitants, et se concentre sur des secteurs tels que les logements sociaux, les infrastructures éducatives et les projets de ponts et de routes. Thandeka Nombanjinji-Nzama dirige encore Nombanjinji Family Property aux côtés de sa sœur, Phumla Nombanjinji. Avec Mbokodo, elle est fière de soutenir les professionnelles hautement qualifiées face à la discrimination sexuelle : « Avec nous, elles peuvent enfin parler ouvertement des situations auxquelles elles sont confrontées. » 

La Directrice générale de Mbokodo a vu ses efforts récompensés en 2021 par le prix Fabulous Woman Job Creation Award, qu’elle a reçu comme un « honneur colossal » : « Notre action et notre rôle de catalyseur pour l’inclusion des femmes dans la construction ne passent pas inaperçus : nous sommes vues et entendues. » 

  

Un secteur lourdement impacté par la pandémie 

Thandeka Nombanjinji-Nzama a de grands projets d’expansion pour Mbokodo Building, au-delà des 200 milliards de rands (12,8 milliards de dollars) de contrats déjà achevés. Mais la crise de la Covid-19 représente un obstacle important de cette ambition. Le secteur, qui pèse 83 milliards de rands (5,3 milliards de dollars américains), s’est contracté de 20 % en 2020 selon le CIDB, tandis que la valeur des nouveaux plans a chuté de 36,6 % entre janvier et novembre 2020. Le CIDB prévoit néanmoins une expansion de la valeur du secteur de plus de 6 % en 2021.  

« La crise actuelle est notre plus grand défi car elle réduit le nombre d’opportunités et allonge considérablement les délais d’achèvement des projets. » En raison des restrictions et de la contraction du marché, Mbokodo a dû réduire et alterner les équipes sur site pour respecter les protocoles. Des cas de Covid dans le personnel ont entraîné à plusieurs reprises des fermetures temporaires. La pandémie retarde aussi fréquemment les paiements en raison des formalités administratives supplémentaires. Pour toutes ces raisons, Mbokodo a dû renoncer provisoirement à ses projets d’expansion dans d’autres pays africains. 

  

L’héritage de Soweto 

Mais ces défis ne font que nourrir l’ambition de Thandeka Nombanjinji-Nzama, portée par ses racines, sa soif de changement, et sa capacité à surmonter les épreuves, dont le terrible meurtre de Muzi Nzama, son mari et le père de ses trois enfants, en septembre dernier. 

« Avoir grandi dans le township de Soweto a façonné la femme que je suis. Nous avons grandi dans l’adversité, à cause de l’Apartheid et de la ségrégation. Il était difficile de nous épanouir en tant que personne noire, et encore plus en tant que femme noire. J’ai compris très tôt que la seule façon de faire bouger les choses était de montrer l’exemple et d’avancer sans attendre l’action des gouvernements. J’ai décidé de prendre le taureau par les cornes pour militer et défendre l’inclusion des femmes dans le secteur de la construction. » 

  

Un nouvel élan ? 

Face au variant Omicron, Thandeka Nombanjinji-Nzama sait que les entreprises de construction sud-africaines ne sont pas sorties d’affaire, dans une économie déjà instable où le chômage touche près d’un tiers de la population active. 

Mbokodo a reçu une aide financière pendant le premier confinement en 2020, mais n’a pas bénéficié d’autres programmes gouvernementaux, même si un projet de loi d’envergure sur les infrastructures a été adopté en 2021. « Notre secteur a été l’un des plus durement touchés dans le pays. Il y a eu plusieurs initiatives du gouvernement pour améliorer la situation et relancer l’économie avec environ 700 milliards de rands (44 milliards de dollars) d’investissement en 2021 dans les infrastructures. L’industrie reprend peu à peu son élan. » 

Mbokodo a participé à de nouveaux appels d’offres pour plusieurs projets de construction. « Le chemin va être long et difficile, mais il y a de l’espoir et nous avons confiance en l’avenir. J’aimerais que Mbokodo rejoigne les grands acteurs féminins de la construction dans les cinq prochaines années et que nous nous voyions confier des projets encore plus ambitieux. » 

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