11 Oct 2023 /

Entretien avec le Ministre ivoirien de la Communication et de l’Economie numérique, M. Amadou Coulibaly

Africa CEO Forum : Monsieur le Ministre, vos actions semblent guidées par un leitmotiv, celui de faire de la Côte d’Ivoire un hub numérique régional. Pouvez-nous dire quelles étapes ont été réalisées, et ce qu’il reste à faire pour atteindre votre objectif ?

Amadou Coulibaly : Notre premier succès, c’est avoir mis sur pied une politique de digitalisation de notre pays, avec une feuille de route comportant des objectifs chiffrés et limités dans le temps. Nous avons défini 7 programmes prioritaires. Nous avons déjà achevé la gouvernance du secteur, avec la création du Comité National de Digitalisation (CNDGI). Auparavant, chaque département ministériel avait sa propre politique digitale, et fonctionnait en silo. Il était important de mettre de la cohérence et de la coordination afin de pouvoir mutualiser les ressources de l’Etat. Le CNDGI a été le véhicule qui a permis d’apporter de la coordination afin d’optimiser certains projets. Pour avoir échangé avec des collègues de la sous-région, beaucoup de pays ont les mêmes difficultés. Il était important de trouver un véhicule capable de porter de façon uniforme cette politique de digitalisation.

Après avoir mis sur pied le CNDGI, nous nous sommes lancés dans le contenu des différents programmes. Nous avons tout récemment élaboré une plate-forme numérique pour l’agriculture, le Projet de solutions numériques pour le désenclavement des zones rurales et l’e-Agriculture (PSNDEA). Ce programme était en place depuis 2018. Il avait beaucoup de retard, mais nous avons réussi à l’achever. Cette plateforme sert de rendez-vous pour les producteurs, les circuits de commercialisation, et de distribution. Y figurent aussi des informations sur la météo, la pluviométrie, jusqu’aux prévisions de production. C’est un programme financé par la Banque Mondiale.

Nous avons aussi le programme de développement des infrastructures numériques. Il s’agit d’apporter de la connectivité partout. Dans le cadre du PSNDEA, il y a aussi un programme qui permet l’extension des services de téléphonie. Nous avons ainsi 175 nouvelles localités qui ont été connectées. C’étaient jusque-là des zones blanches qui n’intéressaient pas forcément les opérateurs de téléphonie. Il était de la responsabilité de l’Etat dans le cadre de notre programme d’inclusion sociale numérique d’apporter de la connectivité sur ces parties du territoire ivoirien. Dans le cadre du programme de sécurité numérique, nous sommes en passe de créer une Agence nationale de sécurité des systèmes d’information. Une agence pleine et entière concernée par ces questions.

 

Parlons des infrastructures telles que les réseaux de télécommunication, les centres de données, ou l’accès à l’Internet à haut débit. Vous avez déclaré que la Côte d’Ivoire avait besoin de plusieurs milliards de Francs CFA (2000 milliards environ) pour réaliser son programme d’infrastructures numériques. Nous supposons que vous attendez une contribution du secteur privé. Comment le Gouvernement prévoit-il de mobiliser ce secteur pour soutenir ses objectifs ? Est-ce par le biais d’incitations fiscales ou de partenariats public-privé ?

L’une de nos priorités a été de redimensionner nos ambitions. Dans le Plan national de développement (PND), c’est vrai que le chiffre de 2 000 milliards est avancé, mais nous avons redimensionné nos ambitions. Nous sommes à présent à une évaluation de 425 milliards de Francs CFA, soit environ 680 millions de dollars. Ce développement des infrastructures numériques concerne la connectivité. Si nous avons déjà réussi à interconnecter 160 localités, il reste l’achèvement de notre réseau à effectuer afin d’amener Internet le plus près possible des consommateurs. Nous avons déjà un réseau de 2 000 kilomètres fonctionnels de fibre optique qui ont été installés sur un total de 5 000, avec un objectif final de 7 000 kilomètres afin de connecter tous les chefs-lieux de région. Je suis en faveur de la politique des petits pas, mais de petits pas sûrs. En connectant déjà tous nos chefs-lieux de région, nous pensons que ce sera une grande avancée.

Dans ce programme de développement des infrastructures numériques, il y a la question des données. Nous avons pour ambition de construire un data center national qui va héberger toutes les données. Nous avons pu identifier des sources de financement multilatérales, telles que la Banque mondiale, US Exim Bank intéressée par les data centers, ou China Exim Bank. Dans le cadre du programme de développement des start-ups, nous avons des financements de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Nous avons donc pour chacun de ces programmes des manifestations d’intérêt.

Pour ce qui est du privé, et notamment dans le secteur bancaire, il y a des financements disponibles avec des banques locales intéressées par le développement des infrastructures numériques. Ce n’est pas à l’Etat de faire, nous sommes dans le faire-faire. Toutes ces infrastructures sont développées par des opérateurs privés. Cela peut être réalisé dans le cadre de partenariats public-privé, mais aussi comme dans le cadre du PSNDEA, par des subventions apportées à des opérateurs en vue de déployer des infrastructures.

Enfin, le privé est membre du Comité national de digitalisation, notamment l’association des opérateurs de téléphonie et le groupement des opérateurs du secteur des technologies de l’information et de la communication. Il y a de la place pour le secteur privé, notamment le privé financier qui peut accompagner les projets.

 

Évoquons à présent la dimension humaine. Comment le Gouvernement ivoirien prévoit-il de soutenir le développement des compétences numériques locales et surtout d’encourager l’innovation technologique ?

Nous voulons une inclusion sociale numérique, c’est-à-dire qu’aucun Ivoirien ne soit laissé au bord de la route en ce qui concerne l’usage du numérique. Vous comprenez que pour atteindre tous ces objectifs, il faut développer les compétences. C’est pour cela que nous envisageons de créer un centre de formation au Village des technologies de l’information et de la biotechnologie (VITIB). Dans le cadre du financement que nous avons eu de l’US Exim Bank, un centre de formation aux métiers de la sécurité informatique est également prévu.

Toujours dans le cadre du développement des compétences numériques, des certificats sont accordés à tous les usagers qui ont un certain niveau dans l’économie numérique. Depuis le 16 août, nous avons lancé ce programme dans le cadre d’une vaste campagne de sensibilisation à une utilisation responsable des médias sociaux. Nous avons aussi le programme DigiFemmes qui permet de former les femmes au codage et qui rencontre un beau succès.

 

Avez-vous un message à adresser à de potentiels investisseurs intéressés par le secteur numérique ivoirien ?

Nous avons une économie dynamique. Le dernier rapport de la Banque Mondiale a indiqué que l’économie numérique pourrait apporter une plus grande part à la bonne santé de l’économie ivoirienne. Nous avons aussi la pression du chef de l’Etat, Alassane Ouattara, qui croit en l’économie numérique. Dans son dernier message à la Nation, au mois d’août, le Président a évoqué l’accompagnement des start-ups. Nous sommes allés pour la première fois à VivaTech à Paris avec une quinzaine de start-ups ivoiriennes. A VivaTech, j’ai d’ailleurs fait remarquer que l’Afrique ne pouvait pas rater la révolution numérique.

On n’en parle pas souvent, mais l’énergie électrique est à la révolution numérique ce que le charbon a été à la révolution industrielle. Or, la Côte d’Ivoire a une électricité stable, bon marché. La Côte d’Ivoire a l’un des taux les plus faibles de coupure sur le continent. Nous sommes à 15 heures par an, ça peut paraître énorme pour les pays dits développés. Mais en Afrique de l’Ouest, la moyenne est de 960 heures par an.

Nous pouvons recevoir tout ce qui est de l’industrie numérique, tout ce qui opère dans l’innovation, et dans la technologie. Nous avons amélioré l’ensemble de l’environnement des affaires avec un tribunal de commerce qui permet de crédibiliser l’économie ivoirienne.

Visionnez l’évènement digital :

 

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