16 Fév 2022 / Article

Les énergies renouvelables, un meilleur investissement que le gaz pour les banques africaines ?

Insights AFIS – Financement de projet

En Afrique, les combustibles fossiles représentent encore 80 % de l’électricité. Mais pour les banques commerciales, les projets liés aux énergies renouvelables deviennent plus intéressants d’un point de vue financier, y compris face au gaz comme énergie de transition. 

Oliver Nieburg 

Cette tendance s’inscrit dans un contexte d’augmentation de la demande privée en énergies renouvelables produites par des producteurs indépendants (« IPP » en anglais), de baisse du prix de ces énergies et de diminution du vivier international d’investisseurs et d’assureurs pour les combustibles fossiles. 

À la suite d’un accord de 1,04 milliard de dollars pour financer des exportations de pétrole au Nigeria, le président d’Afreximbank a déclaré qu’il n’y avait aucune honte à financer des projets de combustibles fossiles pour fournir de l’électricité aux 770 millions (38 %) d’Africains qui n’ont pas accès à l’énergie.  

Theuns Ehlers, Responsable du financement des ressources et des projets d’Absa, troisième banque du continent, pense lui aussi que les combustibles fossiles resteront importants encore quelques temps. « Mais notre banque, comme la plupart des banques commerciales d’Afrique, se concentre sur les énergies propres. » précise-t-il. Les banques commerciales africaines ont donc changé d’état d’esprit par rapport à 2018, où les investissements totaux dans les énergies renouvelables sur le continent s’élevaient à 13 milliards de dollars, contre 70 milliards de dollars dans les combustibles fossiles. 

 

Le gaz, bientôt problématique ? 

Absa, basée à Johannesburg, et dont la banque d’investissement opère dans 12 pays africains, consacre environ 90 % de ses financements énergétiques à des projets verts (éolien, solaire, biomasse et hydroélectricité). Le groupe est toujours associé à quelques anciens projets fossiles, principalement dans le gaz. Mais il a pour objectif de financer des projets ESG pour un montant total de 6 milliards de dollars, et devrait conclure le financement de plus de 2 GW d’énergies renouvelables dans les 6 à 12 prochains mois. 

« Les banques sont sous pression pour les projets liés au gaz, car ils entraînent de émissions élevées, même s’il s’agit de l’énergie fossile la plus propre. La tendance va s’accentuer à mesure que des technologies alternatives moins coûteuses se développent dans le domaine des énergies renouvelables. » explique Theuns Ehlers. 

Le gaz naturel, qui génère 50 % d’émissions de carbone en moins que le charbon, est pourtant considéré comme un compromis temporaire pour combler le déficit énergétique du continent. Si la Banque africaine de développement a renoncé à financer le charbon, son président estime toutefois que le gaz est essentiel à la survie économique de l’Afrique. 

D’après une étude réalisée en janvier par l’Université d’Oxford, peu de signaux laissent présager une transition rapide de l’Afrique vers les énergies renouvelables. Elle prévoit que les combustibles fossiles représenteront 60 % du mix électrique d’ici 2030 (contre 80 % aujourd’hui), car le continent devrait doubler sa capacité de production. 

 

Effet domino depuis l’étranger 

Face au désamour croissant pour les combustibles fossiles à l’international, les projets d’énergies renouvelables représentent pourtant une meilleure opportunité pour les banques commerciales. 

Depuis 2019, le Groupe de la Banque mondiale a cessé d’investir dans l’industrie pétrolière et gazière en amont. Un plan d’action publié l’an dernier indique que le groupe ne compte investir dans le gaz naturel que dans les pays avec une demande énergétique urgente et sans alternatives renouvelables à court terme. Cette décision fait suite à l’action de neuf directeurs exécutifs de la banque, qui ont appelé le groupe à définir une politique ferme d’élimination progressive du gaz et à n’investir dans ce secteur que dans des « circonstances exceptionnelles ». 

Lors de la COP 26, 39 pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la France et l’Allemagne, ont annoncé qu’ils ne financeraient plus de projets fossiles à l’étranger.  Cédric Lombardo, Associé directeur du cabinet de conseil ivoirien BeDevelopment et Laurent de l’Espinay, Responsable des services de développement durable chez Deloitte Afrique, ont souligné dans une déclaration commune : « Ces décisions auront un impact direct sur l’ensemble du secteur du financement des IFD (institutions de financement du développement), mais aussi sur les banques commerciales qui se financent avec les IFD. » 

Huit des plus grands assureurs mondiaux, dont Swiss Re, Zurich Insurance Group et Aviva, se sont également engagés à avoir un portefeuille neutre en carbone d’ici 2050. « Cela va réduire l’offre d’assurance contre les risques et compliquer le financement des combustibles fossiles », ont ajouté Cédric Lombardo et Laurent de l’Espinay. 

 

Émergence du marché IPP en Afrique du Sud 

Au milieu de ces changements internationaux, l’intérêt du secteur financier africain pour les énergies renouvelables est en hausse, selon les résultats du baromètre 2021 « African Financial industry » de Deloitte. 

Africa Finance Corporation, une banque d’infrastructure africaine basée à Lagos, a déjà commencé à réorienter son portefeuille énergétique vers des projets renouvelables. Mi-2021, l’IFC a accordé 150 millions de dollars à Absa pour développer son activité de financement climatique dans le cadre du premier prêt vert certifié d’Afrique. 

La demande privée en énergie IPP, principalement pour des utilisations industrielles telles que l’exploitation minière, est un facteur qui suscite l’intérêt des banques commerciales. « Le nombre d’exploitants miniers et industriels sud-africains qui veulent se fournir en énergie renouvelable IPP est en nette augmentation» constate Theuns Ehlers. «Ces initiatives sont bénéfiques pour leurs objectifs zéro émission nette, mais elles se tiennent aussi d’un point de vue commercial compte tenu du prix très attractif de l’énergie renouvelable.» 

La récente simplification de la procédure d’obtention de permis d’approvisionnement IPP pour les entreprises, jusqu’alors très coûteuse, a favorisé cette ouverture du marché en Afrique du Sud. L’électricité fournie par les IPP circule toujours sur le réseau de l’entreprise publique Eskom, mais l’opérateur se montre maintenant plus souple sur les frais de transit. 

 

Projets IPP renouvelables : un nouvel horizon pour les banques commerciales 

De plus en plus de grandes entreprises visent un objectif zéro émission nette, notamment aux États-Unis et en Europe, un phénomène qui devrait selon Absa intensifier encore la demande privée. Selon Theuns Ehlers, cela ne concerne pas seulement les profils industriels, mais aussi des géants comme Amazon et Google : « Cela va vraiment devenir un sujet incontournable pour Absa, en plus des programmes gouvernementaux officiels. » 

Les États africains commencent même à tenir compte des IPP dans leurs plans de production d’énergie. C’est en grande partie grâce aux producteurs d’énergie indépendants que la Côte d’Ivoire a pu doubler sa production d’énergie ces dix dernières années. 

Deo Onyango, Spécialiste industriel senior du financement climatique d’IFC, explique : « Les banques commerciales sont bien adaptées au financement des projets commerciaux et industriels IPP : ils sont généralement plus modestes, jusqu’à cinq mégawatts environ, et nécessitent un financement beaucoup plus court. » Selon lui, ce type d’énergie hors réseau devient de plus en plus important en Afrique, notamment pour le secteur de l’industrie qui ne peut souvent pas compter sur les réseaux centralisés. 

L’IFC soutient également les IPP : avec des investisseurs privés, la filiale de la Banque mondiale finance un projet d’énergie solaire photovoltaïque de 100 MWac en RDC, qui devrait être opérationnel en 2024 et viendra appuyer les opérations minières dans la région du Sud-Est.  

 

Un intérêt marqué pour le capital-investissement 

Pour Lisa Pinsley, Directrice et responsable de l’infrastructure énergétique en Afrique chez Actis, société de capital-investissement basée au Royaume-Uni, la demande privée en énergie renouvelable IPP explique en partie les 1,2 milliard de dollars investis par le groupe en Afrique à travers plusieurs fonds énergétiques : 

« Face au déficit énergétique et aux incroyables ressources renouvelables en Afrique, nous investissons à la fois dans le système traditionnel public, connecté au réseau, dans lequel nos projets sont vendus à des sociétés de distribution appartenant à l’État, et le système commercial et industriel, dans lequel nos projets sont vendus directement aux grands consommateurs du secteur privé ». 

Actis, l’un des plus grands investisseurs mondiaux dans les infrastructures durables, est actif depuis 15 ans dans le secteur des énergies renouvelables en Afrique, notamment dans les projets éoliens, solaires et hydroélectriques. Le groupe se concentre sur les énergies renouvelables, par exemple grâce à sa filiale BTE Renewables (anciennement BioTherm Energy) acquise en 2019. Mais Actis pense que le gaz a encore sa place dans le mix énergétique africain : 

« Le gaz, en particulier le gaz domestique, est pour nous un combustible essentiel pour la transition énergétique de l’Afrique, qui contribue à la fois à l’objectif zéro émission nette d’ici 2050 et à la réduction de la pauvreté ». 

En Afrique, le groupe d’investissement recherche des financements de projets traditionnels et mezzanine auprès de banques commerciales, ainsi que des financements holdco pour les entreprises de son portefeuille.  

 

Une opportunité de 23 000 milliards de dollars 

Malgré cet intérêt en hausse des banques commerciales pour les projets d’énergies renouvelables, Deo Onyango de l’IFC estime qu’il y a encore trop peu d’opérations rentables.  

« Mais de plus en plus de projets deviennent financièrement viables à mesure que les énergies renouvelables baissent en prix et deviennent compétitives », se réjouit-il. Selon le spécialiste du financement climatique, les nouveaux produits financiers, comme les obligations vertes, rendent la tâche plus facile et attrayante pour les banques commerciales. 

« Dans l’ensemble, nous estimons qu’il y a au niveau mondial 23 000 milliards de dollars d’investissements potentiels dans le domaine du financement climatique pour les 10 prochaines années, soit une énorme opportunité pour les banques commerciales africaines et les autres », souligne-t-il. 

 

Une accumulation de la demande 

Le dernier appel d’offres de l’Afrique du Sud pour les énergies renouvelables, en octobre 2021, a attiré 3,2 milliards de dollars pour une capacité de 2,6 GW répartie sur 25 projets éoliens et solaires terrestres. 

« En pleine pandémie, il a été sursouscrit plus de quatre fois, ce qui donne une bonne idée de l’appétit des investisseurs », observe Theuns Ehlers d’Absa. « Il n’y avait pas eu d’appel d’offres conséquent pour la fourniture d’énergie renouvelable depuis environ 3 ans, la demande s’est donc accumulée. » 

La concurrence acharnée pour le financement des projets d’énergie verte a réduit les marges d’endettement et maintenu les taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas. Les banques deviennent également plus agressives dans leurs offres de produits. 

 

Le financement en monnaie locale de plus en plus attractif 

Les banques commerciales peuvent également proposer des produits ajustés à l’inflation, car les régimes tarifaires pour les énergies renouvelables dans des pays comme l’Afrique du Sud sont indexés sur l’inflation et les accords d’achat d’électricité sont en monnaie locale. 

La plupart des investisseurs internationaux récupèrent les bénéfices des projets d’énergie renouvelable en Afrique en dollars américains ou en euros. Selon Absa, ils sont toutefois de plus en plus à l’aise pour prendre un risque à long terme avec un projet en monnaie locale. 

Cette pratique est déjà bien établie en Afrique du Sud et Absa a commencé à développer des marchés de capitaux locaux ailleurs, notamment au Kenya et au Botswana, afin d’encourager le financement en monnaie locale. Des tarifs hybrides, à la fois en monnaie locale et en dollars américains, font également leur apparition. Absa espère que cela attirera davantage d’investisseurs locaux vers les projets d’énergie renouvelable. 

 

Les risques climatiques des énergies renouvelables 

Absa a commencé à financer des projets verts il y a une dizaine d’années. Malgré quelques retards de construction liés à la pandémie, elle considère que le solaire et l’éolien présentent peu de risques, car il existe suffisamment de données historiques sur les impacts météorologiques, du moins en Afrique du Sud. Les sécheresses ont toutefois eu un impact sur la capacité de production de certains de ses projets hydroélectriques en dehors de l’Afrique du Sud, et la société craint que cela ne menace encore davantage ses grands projets hydroélectriques. 

Pour Cédric Lombardo et Laurent de l’Espinay, les banques commerciales doivent évaluer les risques liés au financement de projets, car les rendements de l’énergie solaire, éolienne et de la biomasse face aux changements climatiques en Afrique commencent seulement à être compris. « Il est donc nécessaire que ces risques soient bien pris en compte par les États dans le cadre des projets IPP et des partenariats public-privé », ont-ils déclaré. 

Le prochain sommet des Nations unies sur le climat, la COP27, se tiendra sur le sol africain en novembre 2022, en Égypte. 

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